Lettre Hebdomadaire
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◀ Edito

Un éléphant, ça trompe énormément - partie 3

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Le 29 mai 2023

 Babar regarde sa montre, puis les arbres du parc. Le temps lui paraît si long aujourd’hui. Cela faisait combien de temps que Babar n’avait pas enfilé cette tenue de sport ? Il ne s’en rappelle même plus. Il ne peut que constater que ces vêtements autrefois flottants lui collent maintenant au corps. Le temps peut être bien ingrat. Babar n’a pas spécialement à se plaindre se dit-il pour calmer rationnellement ses auto-critiques. Il a des excroissances au niveau des hanches, un dépassement au niveau du ventre et quelques parties du corps qui tendent à se boudiner mais le temps fait aussi son charme pense-t-il. Ne parle-t-on pas aussi de poignées d’amour songe-t-il.

 SOUDAIN ! Un flot de coureurs dévalent la route du parc. Leurs pas régulièrement viennent fracasser la terre maintes fois battues par leurs précesseurs, périodiquement et sans arrêt. Les respirations suivent les cadences sans jamais dans l’ensemble des coureurs créer un unison, un souffle unique. Par leur phase propre, chacun participe aux oscillements et aux vascillements sonores de cette soufflerie mécanique ambulante. Babar se perd dans ce véritable troupeau, et par mécanisme social enchaîne une petite foulée et les rejoint.

 Les premiers temps sont si durs, à la première difficulté, on voudrait encore tout arrêter. Dès que Babar flanche, un autre le soutient, il ralentit et il va à sa cadence. Babar reprend sa respiration, et se synchronise. Le soleil est fort aujourd’hui mais il tient le bon bout.

 Le troupeau s’arrête enfin. Babar s’en défile et marche lentement dans le parc jusqu’à trouver un banc.

 “Wow, vous avez encore ça dans les jambes, monsieur!”

Babar se retourne, c’est Sonic qui lui parle. Babar se rappelle qu’il était venu pour courir avec lui.

-Je suis désolé, je suis parti courir avec eux et…-
-Ne vous inquiétez pas. Mais vous êtes bien épuisé, j’ai l’impression. On pourrait aller boire un verre quelque part.

Babar trouve Sonic très entreprenant, ce qui le surprend pour un homme encore si jeune. Il a le sourire ravageur et l’attitude narquoise. Mais c’est l’ami de mon fils, pense-t-il. Je ne peux pas tomber sous son charme. La raison d’un homme a bien des défauts, et les charmes de l’amour en sont. Il accepte comme contraint par lui-même de suivre ce jeune baroudeur.

Ils se sont arrêtés à un bar du Marais, encore. Babar est toujours couvert de sueur, Sonic est quant à lui pimpant et frais.

 -Et du coup, vous…
-S’il te plaît, tu peux me tutoyer.
-Ah oui, alors, tu aimes bien courir ?
-C’est sportif, faut dire.
-Ah, c’est sûr.
-Mais j’apprécie particulièrement, courir à plusieurs.
-Et courir à deux ?
Babar rougit. Il est pris au dépourvu. Sonic reprend.
-Non, je te taquine !
-Et toi, qu’est-ce que t’aimes… dans la course ?
-La sensation de vide et l’appel de la vitesse. Parfois, je vais dans des prairies, vides, il n’y a que des animaux. Je suis loin de tout, l’air est si pur. Je commence une foulée sur l’herbe, puis j’accélère. A la première accélération, je commence à ressentir les battements de mon coeur augmenter la cadence, mettre l’ensemble de mes cellules en vibration pour développer mes muscles.

Babar écoute attentivement, il est pendu aux lèvres de Sonic.

 -J’accélère encore, mon corps en a besoin. Cette fois, l’air peine à cerner ma présence, je ne laisse que de fines traces et des filets dans l’air. Ma respiration n’augmente pas autant, mon coeur essaye tant que possible de se stabiliser. Je continue à prendre de la vitesse, je suis capable précisément de contrôler le moindre de mes muscles, de le tendre, de le détendre. Chacune de mes foulées est une détonation, je me propulse dans l’air. Dans ces instants si courts et aériens, mon esprit se vide et s’efface dans l’air.

Il marque un temps de pause.

 -Lentement, je réduis la vitesse. Et puis, je m’arrête. Je m’étends vidé de toutes mes impuretés. Je ne pense à rien, je ne vis que l’intense joie de cette prairie.

Babar est scotché, Sonic a été si passionné qu’il ne peut rien répondre. Long regard, long silence. Babar s’apprête à lui dire quelque chose.

 -J’y crois pas, c’est pas croyable ! TU me la mets à l’envers Babar s’écrie un passant derrière Babar.

Babar se retourne.

 -Shrek ?!