Lettre Hebdomadaire
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J'ai discuté une fois avec une plage.

Le 22 mai 2023

J’ai discuté une fois avec une plage. J’étais presque enterré, l’oreille aux murmures du sable. J’ai écouté.

Vous ne savez combien ces petits grains, timides solitaires, sont capables de débiter quand ils sont tous ensemble. Seulement… ils ont une voix à la taille de leur corps, une voix de quelques micromètres peut-être même moins alors il ne faut pas hésiter à s’approcher.

Il me mettaient dans la confidence de toute cette plage. Les moindres petits pas à la ronde, les petites confessions sur les serviettes et l’écume, là où les algues reposaient d’une journée à jouer entre les vagues. Et les enfants aussi. J’ai bien essayé de me lever mais comprenez-moi, j’étais une plage. J’étais le nouveau grain, un peu plus gros que les autres, certes, mais j’étais grain et nous étions un.

Deux personnes s’aimaient sur la plage et je le savais. La rumeur avait circulé chez les voisins, deux personnes s’aiment et ils avaient même un chien. Que je ferme un peu plus les yeux, je ne veux sentir que le froid de cette fin de journée d’été sur la plage, sur moi, sur nous. Ces gens s’aimaient et leurs rires nous avaient bousculé.

Et lentement, je sentais prendre en moi les rythmes des houles battant sur mon corps de plage. Les mesures peu à peu s’éloignaient, et je me sentais grandir en voyant ces vagues fuir ! Que la marée s’abaisse davantage, que je sente dans mon corps de grain encore plus fort l’émulsion de cette plage ! Que mes bords s’étendent. La mousse épaisse des bords d’eau, comme celle des verres de Bordeaux, tout tremble dans chacune de mes cellules. Et ces deux personnes, si loin de nous, s’aimaient et s’embrassaient, et nous le savions mais eux ne le savaient pas. Ils étaient si innocents et si impuissants, nous étions le lieu de leur amour et la nature qu’ils contemplaient. Ils ignoraient combien nous les regardions et comment nous rougissions sous l’immense bavarde qui nous disait combien ces deux personnes s’aimaient ce jour-là.

Soudain, je me relève. J’étais de nouveau un homme. J’ai saisi, d’une poignée, quelques grains autrefois amis. Il y a eu méprise. Je n’étais pas comme eux et ils ne voulaient plus me parler. Alors, je les ai serrés plein de nostalgie. J’ai regardé cette plage.

Sur le bord, il y avait une immense lignes d’algues. C’était là où la mer avait lutté le plus loin. La plage l’avait emporté encore ce soir-là. Moi, je me sentais minable et je regardais deux personnes s’amuser avec leur chien.

Je les ai trouvés profondément laids. Le soleil ne parlait plus déjà, puis le ciel avait eu le bon goût de se taire aussi. En fait, la nature était drôlement silencieuse maintenant. C’est elle que je voudrais rencontrer ce soir.

Je me suis allongé, épuisé. Les grains m’ont supporté encore. L’un est venu me murmurer une dernière fois. J’ai souri. Il m’avait fait promettre de ne rien vous dire de tout ça. Mais que voulez-vous… J’étais un homme avant d’être une plage.