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Rififi en Téessedeu - 3

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« … mais je ne le ferai pas, conclut Erwan.
- C’est très aimable à toi.
- T’as rien écouté, pas vrai ?
- Bien sûr que si, mentit Toinou avec aplomb, pourrais-tu m’aider à sortir de ces ronces, je te prie ? »

Erwan le toisa quelques instants puis soupira. Il ferma les yeux et se massa les tempes du bout des doigts avant de s’approcher du taillis et de son prisonnier.

Toinou retint son souffle et hoqueta de surprise quand, après s’être penché, Erwan l’attrapa par la taille et le serra contre lui pour démêler ses vêtements des épines. Le blond n’osait pas bouger, aussi tétanisé par la situation qu’affolé par les battements erratiques de son cœur. Il se sentit soulevé par des bras vigoureux et se retrouva debout contre son sauveur qui, hélas, recula aussitôt. Le visage d’Erwan n’était qu’un masque de neutralité alors que Toinou, les joues rouges et les yeux écarquillés, peinait à retrouver son souffle et sa contenance.

« Je disais donc que j’étais censé te rouer de coups, mais tomber dans les ronces, c’est suffisant comme punition. »
Son visage avait beau rester neutre, sa voix était plus rauque, plus basse, plus profonde.

« Merci » bégaya Toinou, le souffle coupé.
Puis il se retourna et bondit par dessus les buissons avant de disparaître en courant.
Il ne vit pas le sourire se dessiner sur les lèvres d’Erwan.

Assis sur une branche de son arbre préféré, Toinou contemplait la possibilité qu’il soit gay quand il entendit une voix aiguë passablement désagréable l’appeler en chantonnant.

« Ici ! cria-t-il de sa voix de baryton.
- Je suis vraiment totalement myope, dit la voix. Dis moi Toinou, pourquoi est-ce que tu aimes tant les bouleaux ? C’est bourré de phalènes et de mousse, je ne te comprends pas.
- C’est l’homophone de « boulot », rien que ça, ça fait fuir les flics et les agents du fisc. D’une pierre, deux coups », répondit Toinou d’un air goguenard en descendant avec agilité.
La voix appartenait, contre toute attente, à une petite bonne femme brune dont les cheveux en pétard semblaient clamer leur indépendance et ce, malgré toutes ses tentatives pour les dompter.
« Mes yeux sont ici », ajouta-t-elle en arrêtant de chantonner, ce qui rendait sa voix moins désagréable.

Toinou arrêta de fixer une frisette qui dansait le boogie au profit de son interlocutrice. Il était tenté de ne pas l’écouter mais il savait qu’elle piquerait une crise et se mettrait à chouiner s’il faisait ça.

« Tu voulais me dire ? », demanda-t-il en prenant un air concentré et, comble de l’hypocrisie, concerné. Toinou ne se sentait jamais concerné par rien tant que personne ne pleurait. C’était sûrement la raison qui poussait Mathilde à chouiner pathétiquement quand elle voulait lui parler.
« Eh, oh, tu m’écoutes ?
- Ah non, désolé, j’étais dans mes pensées. »

Mathilde l’Enchanteresse soupira.

« Est-ce que la chaise à téléportation fonctionne ?
- Ah oui, nickel, par contre je l’ai oubliée dans les caves du palais royal », répondit-il d’une seule traite, espérant peut-être qu’elle ne l’entendrait pas.
La brune s’écrasa la main sur le visage, envoyant valser les mèches déjà indisciplinées.
« Désolé, lui annonça Toinou dont le grand sourire montrait qu’il n’était pas du tout désolé, je retournerai la chercher à la première occasion.
- Heureusement que je note toujours soigneusement toutes mes formules. »

Après un instant de silence, elle ajouta :

« Je crois que le seul objet enchanté que tu n’aies jamais perdu, c’est la paire de tire-bouchons. Je ne sais pas pourquoi je m’acharne à te faire tester des trucs.
- Je crois qu’au fond, argua-t-il d’un air presque sérieux, t’espères que ça rate et que je disparaisse définitivement !
- J’irai réclamer la prime pour ta tête si ça advenait. »

Sur quoi, elle lui fit un clin d’œil plutôt flippant, souffla dans un ballon-voyageur et s’envola parmi les arbres d’une manière tout à fait ridicule.