Enquête (pas) rondement menée
Il est 8h, les cours à Telecom n’ont pas encore commencé. Eric reçoit un message. “Rendez-vous dans le batîment C, troisième étage, soyez discrets”. C’est avec un sourire qu’il le lit, il se déplaçait toujours avec une discrétion irréprochable. Se cacher d’un étudiant n’est pas une tâche plus difficile que de suivre un homme infidèle en filature, et de s’introduire dans la chambre pour tout filmer. En montant le dédale d’escalier, il remarque sur une porte une inscription étrange, une sorte de sticker, en forme de rond.
Arrivé au troisième étage du batîment C, il est accueilli par deux hommes vêtus de noir. Ils ont vérifié qu’Eric n’avait ni arme ni micro. La sécurité passée, il voit devant lui un homme assis à un bureau, le directeur.
-Asseyez-vous, je vous en prie.
-…
Eric s’asseoit et ne parle pas.
-Vous les avez-vu, n’est-ce-pas ?
-Est-ce que vous parlez des ronds ?
-Je vois que vous êtes observateur… Cela fait maintenant… plusieurs mois que ces inscriptions apparaissent sans que l’on ne puisse identifier les auteurs.
-Ce n’est pas une sorte de club de l’école ?
-C’est ce que nous avons pensé bien sûr. Et pourtant… aucun élève ne semble se désigner membre de cette association.
-Ne suffit-il pas d’utiliser vos caméras ?
-Je savais que vous diriez cela. Je vous invite à regarder nos enregistrements.
Un long plan sur un mur suivi d’une coupure caméra. Lorsque la caméra enregistre à nouveau, l’inscription apparaît.
-C’est très étrange. Ils contrôleraient les caméras de la sécurité ?
-C’est possible.
-Et qu’est-ce qui vous gêne avec ces inscriptions ?
-Je ne peux malheureusement pas vous en parler. On m’a recommandé vos services, notamment car vous ne posez pas beaucoup de questions sur les intentions. Nous aimerions que vous attrapiez les élèves derrière.
La conversation s’est terminé à ce moment, une poignée de main et un accord de signé. Eric décide d’inspecter l’une des inscriptions. C’est une forme circulaire, sur le contour est écrit “Télérond” et il y a trois ronds au centre. Une fois l’inspection finie, il remarque qu’un élève l’observe d’un coin du grand hall de l’école. Eric n’a pas pu identifier l’élève.
Il décide de passer la nuit au pôle sécurité de l’école. Il avait étudié le plan de l’école pour déterminer tous les chemins possibles empruntables depuis les endroits filmés par les caméras.
Pendant cinq heures, jusqu’à trois heures du matin, rien ne se passe dans l’école. Alors qu’il est sur le point de s’endormir, il remarque que l’image d’une des caméras se brouille. Il repère l’endroit dans sa carte mentale de l’école et il file vers le hall. Il entend des bruits de pas, l’élève est encore ici, il n’a pas pu descendre en le peu de temps qu’il avait, pense Eric, ni même quitter l’aile dans laquelle il était. Eric fonce dans le grand escalier du hall pour traquer l’élève, premier étage, deuxième étage. Il voit l’élève à l’entrée de l’escalier du troisième étage. Celui-ci prend peur et fuit, Eric le poursuit. Ils dévalent les escaliers du bâtiment A. Une fenêtre du grand hall qui donne sur parking vélo était ouverte. C’est donc par-là qu’il est rentré ! Les deux la traversent et enjambent le grillage. Eric n’avait pas fait un sport aussi intense depuis longtemps. La dernière fois, c’était peut-être quand il avait rompu par mégarde sa filature d’un baron de la drogue, il avait couru pendant une heure dans une forêt. En parlant de forêt, ils ont fini par traverser la rue et continuer la course-poursuite dans la forêt de la Troche. Eric essaye malgré tout de calmer l’élève, en lui disant que rien n’allait se passer. Ils finissent au pont de la Troche, Eric s’y arrête au début et l’élève au milieu.
-Nous voulons juste comprendre. Pourquoi vous faîtes ça ?
Eric se rapproche doucement, l’élève prend peur et enjambe la barrière. Son pied s’y coince un instant se qui perturbe sa chute. Il arrive tête la première sur le sol. D’un coup sec, sa nuque se brise et son corps se relâche. Eric se précipite de descendre vers lui. Il conclut, la tête baissée, que la chute aura été fatale. Il appelle une ambulance et inspecte la veste du jeune homme. Il y a dans la poche intérieure, un carnet. En l’ouvrant, il lit Gloire à Télérond, Télérond, Télérond. Tous les pages du livre sont recouvertes de rond, de gribouillis et du mot Télérond. Dans son autre poche intérieur, il y trouve une centaine de stickers Télérond.
Eric regarde le fond de son verre. Le barman frotte le comptoir pour enlever les quelques traces de gras qui traînent. Il fait un signe pour qu’on le serve à nouveau. Bien sûr, que ça sera du whisky. Le barman le sait, il ne prend plus la peine de demander. Eric observe minutieusement son verre se remplir. Le voilà, tout plein. Tout s’agite, se rentre dedans et s’en ressort, dessus un petit îlot de glace de rien du tout. Il repense à cette affaire sordide, et puis à sa vie. Tout est plus calme sur le bord de son verre maintenant. Il approche ses lèvres et d’un coup sec, le liquide s’est séparé en deux exactes moitiés, une moitié pleine, et l’autre moitié vide. Elles s’agitent sur le comptoir. La lumière tamisée du bar traverse leur corps, leur donnant l’allure de flammes dansantes. Eric essaye par des mouvements brusques de les attraper. Allez essayer d’attraper deux flaques de whisky. Presque dépité, il n’attend plus rien de son verre. C’est quand il a tout abandonné que celle à moitié pleine glisse sur le gras du comptoir. Eric saisit sa chance et parvient finalement à boire une moitié. Epuisé, il laisse son verre à moitié vide.
Il remet son manteau, son travail est terminé à présent, il-
-Hé ! Crie le barman
C’est quoi le truc que t’as mis au fond du verre là ?
Eric se penche pour regarder à l’intérieur. Il se décompose, au fond du verre, à travers le reste de whisky qu’il n’a pas pu finir, il y a un Télérond. Eric prend le verre, son enquête n’est certainement pas terminée.