De la nécessité de créer des choses belles
Le forum Aster de la semaine dernière est la preuve d’une chose : tout le monde tente de trouver un sens à ce qu’il fait, d’une manière ou d’une autre.
Dans ce petit pavé, que vous êtes libres de sauter si le sujet ne vous semble pas intéressant, j’essaie de partager certaines des conclusions auxquelles je suis parvenu en réfléchissant (en fait, beaucoup sont des évidences, mais y penser fait du bien).
Le sujet du sens que l’on donne à ses actions me trotte souvent dans la tête, et je pense que ce phénomène est en train de se démocratiser auprès des jeunes, notamment à cause du dérèglement climatique et du rappel quotidien que le temps est compté avant que l’humanité ne devienne un détail de l’histoire de l’Univers. Personnellement, deux sentiments émergent face à ce constat. Le premier est une sorte d’urgence qui provient sûrement d’un instinct primaire et consiste à profiter de ma vie. En fait, si le temps est compté (il l’est même sans la catastrophe écologique à venir), chaque seconde est précieuse. Comme le but de la vie demeure le bonheur (je pense que c’est le cas pour à peu près tout le monde), nous devons maximiser le bonheur que nous tirons de chaque seconde.
Le deuxième sentiment est plus culturel et idéologique. J’ai la chance de vivre dans un monde relativement sain depuis ma naissance. Il serait alors profondément injuste que mon inaction cause des troubles à ceux qui me succéderont sur Terre. C’est pourquoi j’estime que mes actions doivent, à mon échelle, contribuer à éviter cela.
Je pourrais peut-être aborder le deuxième point si certains trouvent mon point de vue sur la question intéressant.
Pour le moment, je souhaite parler du bonheur que procurent nos actions, qui se résume souvent grâce à la notion de beauté. La beauté s’expérimente surtout face à quelque chose d’externe, dans des domaines très variés. Personnellement, je pense l’avoir expérimentée dès mon plus jeune âge (et je suis persuadé que cette expérience durant l’enfance sculpte la personnalité de quelqu’un). Cependant, je me souviens surtout de trois choses. La première, c’est une visite au musée de l’Académie de Venise avec des amis. À un moment, un homme nous interpelle et nous parle en anglais, nous demandant de le suivre, ce que nous faisons. Après avoir zigzagué dans quelques couloirs, il nous montre un tableau faiblement éclairé mais parfaitement mis en valeur dans une petite pièce sombre. C’était la Tempête de Giorgione. J’ai été surpris de voir à quel point la toile était petite, mais c’est surtout l’agencement des éléments qui m’a frappé. L’homme à droite et la femme à gauche ne semblent pas se voir. La ville au loin m’a rappelé un décor post-apocalyptique. La nature a une place importante mais reste en retrait par rapport au reste. Enfin, la représentation de la rivière ne semble pas vraiment avoir de sens. C’est toujours assez étrange à décrire comme sentiment, je ne saurais jamais expliquer vraiment ce qui m’a frappé avec cette toile, et encore moins en l’écrivant sur mon ordinateur, mais j’ai vraiment été profondément touché lorsque je l’ai vue, et il m’arrive souvent de rechercher cette œuvre pour continuer d’examiner le moindre détail en essayant d’y trouver quelque chose qui m’aurait échappé. Si vous avez continué de me lire jusqu’ici, je vous invite à regarder pendant une dizaine de minutes ce tableau avant de continuer à lire.
Les deux autres exemples prendraient un peu trop de place, donc je les raconterai une autre fois, mais il s’agissait d’un théorème mathématique et d’une musique.
Cette digression me sert à appuyer le point suivant : le bonheur s’acquiert principalement au contact de belles choses, au sens le plus large possible. Et c’est sûr que ça paraît un peu évident, mais le fait d’y penser et de s’en rendre compte rend le chemin vers celui-ci un peu moins ardu.
Vous avez sûrement remarqué que je n’ai pas encore donné de définition de ce que c’est d’être beau (à part le fait que cela procure du bonheur). En fait, je n’arrive toujours pas à en donner une définition satisfaisante, car cette notion dépend beaucoup trop de la personne qui la conçoit. Pour l’instant, je me base sur l’intuition que chacun a quand il dit “ceci est beau !“. C’est pour ça que chaque personne va sûrement lire ce petit pavé avec une sensibilité différente, et c’est plutôt une bonne chose, je pense.
C’est donc pour cela que créer soi-même des choses belles, c’est s’assurer un bonheur. Déjà, le processus de création lui-même est gratifiant, mais en plus, le résultat que vous obtiendrez sera sculpté à votre goût dans le seul objectif de vous rendre heureux par sa simple beauté.
Enfin, je souhaitais développer tout cela pour énoncer une évidence : dans la vie, si l’on souhaite être heureux, il faut faire en sorte de toujours créer des choses que l’on estime belles. Que ce soit un théorème mathématique, une belle courbe sur Matplotlib, un poème qui fait tourner la tête, un dessin aussi précis ou aussi déjanté que possible, un code qui compile parfaitement au premier test, un univers imaginaire aussi détaillé que possible (tiens, un autre sujet à aborder) ou même un plat tellement appétissant qu’on a pas envie de le manger, les belles choses que l’on crée nous remplissent de joie, car la création est avant tout tournée vers le créateur. C’est ainsi qu’on parvient à vivre une vie heureuse, qui continue de nous combler et que l’on n’a pas envie d’abandonner, ou en tout cas, c’est ainsi que je l’imagine.