Lettre Hebdomadaire
FrançaisEnglish
◀ Edito

La Guerre de la Vache

Ce soir, je vais vous conter l’histoire d’un effet boule de neige rocambolesque mais qui ravit encore les amateurs d’histoires burlesques.

ANDENNE, 1275 - En des temps anciens où les tournois et les marchés allaient de pair, une histoire hilarante se déroula lors de la foire à Andenne. Gui de Dampierre, marquis de Namur et comte de Flandre, avait organisé un tournoi de renom. Ce n’était pas une simple fête foraine, c’était un événement prestigieux qui nécessitait moult repas et moult victuailles pour les invités.

C’est là qu’entre en scène notre protagoniste, un homme dont la malice n’a d’égal que son avarice : Engoran, un paysan de Jallet. Un simple manant du seigneur de Goesnes, qui, à l’époque, dépendait de la principauté de Liège. Engoran décida donc de pimenter l’événement en apportant une vache célèbre, qu’il avait dérobée à un certain Rigaud à Ciney. Il semblait penser que la justice féodale ne s’appliquerait qu’à l’endroit où le méfait avait eu lieu, et il pourrait ainsi échapper aux conséquences de ses actes en gambadant dans la foire d’Andenne.

Mais voici le moment comique : le propriétaire de la vache, qui passait par là, vit son animal et le reconnut immédiatement. Il alla tout raconter à Jean de Halloy, qui officiait également en tant que bailli (responsable de la justice) du Condroz et qui était à Andenne pour le tournoi. Heureusement pour Engoran, Andenne était hors de la juridiction de Jean de Halloy. Mais Jean était un homme malin et astucieusement, ce dernier proposa à Engoran de restituer la vache à l’endroit où il l’avait volée pour ne plus être inquiété. Sinon, dès qu’Engoran entrerait en Condroz pour rentrer chez lui, il serait arrêté.

Engoran, voyant qu’il ne pourrait jamais rentrer chez lui, se conforma à l’accord. Cependant, une fois qu’il arriva en terre condruzienne, les hommes du bailli qui l’accompagnaient l’attrapèrent et le pendirent à un arbre. La justice à l’époque était drôlement expéditive, n’est-ce pas ?

L’histoire ne s’arrête cependant pas maintenant car la fierté des seigneurs de l’époque était quelque chose qu’il ne fallait pas prendre à la légère. En effet, Jean de Goesnes, le seigneur local, avait autorité sur ses manants et avait des rêves de grandeur pour devenir bailli du Condroz à la place de Jean de Halloy. Il voyait d’un mauvais œil que Jean puisse faire justice comme bon lui semblait. Ses neveux, Nicolas et Richard II de Beaufort, étaient également mécontents de la situation.

En 1275, ils organisèrent une expédition avec leurs amis seigneurs de Celles et de Spontin, et décidèrent de donner une leçon à Jean de Halloy en allant raser son château. Une réaction proportionnée, n’est-ce pas ?

Cependant, Jean de Halloy n’était pas le genre d’homme à se laisser faire. Il riposta en allant incendier les terres de Goesnes en réunissant ses alliés autour de lui.

La situation devenant incontrôlable, la seigneurie de Goesnes demanda de l’aide au marquis de Namur, Gui de Dampierre. Et pour pimenter encore un peu plus l’affaire, il engagea également le Luxembourg dans ce conflit. Tout cela à cause d’une vache !

Les choses devinrent encore plus tordues lorsque le prince-évêque de Liège, Jean d’Enghien, refusa de s’impliquer dans le conflit malgré les demandes insistantes des Condruziens. Les habitants de Liège, consternés par la passivité de leur leader, élurent un mambour du nom de Bouchard de Hainaut pour prendre les choses en main. Bouchard fédéra rapidement les vassaux du Prince-Évêque pour riposter.

La Guerre de la Vache battait son plein, mais heureusement, tous les bons festins ont une fin. En 1280, après trois longues années de batailles sans fin, les parties épuisées sollicitèrent l’arbitrage du roi de France, Philippe le Hardi. Le souverain intervint avec sagesse et décida de remettre les choses en ordre comme elles étaient avant les hostilités.

Ainsi prit fin cette hilarante saga médiévale, où une simple vache et des seigneurs un peu trop orgueilleux ont causé tant de tumulte. Rappelons malgré tout que cette guerre a entraîné la mort de 13 000 personnes.