Rififi en Téessedeu - 2
Le 19 juin 2023
« Il est vraiment beau, pensa Toinou, on dirait le vieux Vangrive, les années en moins et les yeux… »
Le vieux Vangrive. Oups. Avisant subitement le fléau posé près du jeune homme et se rappelant sa position pour le moins délicate, Toinou sentit le regret effleurer sa conscience à peine dégrisée. Il lui fallait trouver une échappatoire s’il ne voulait pas regretter physiquement d’avoir liquidé les (délicieuses) réserves du vieux.
« Erwan Vangrive, lança Toinou d’un ton enjoué en lui décochant son plus beau sourire, comme tu as grandi ! Remballe ton boniment, le coupa Erwan, je te rappelle qu’on a le même âge. »
Sa voix jeune et grave, un peu rocailleuse, laissait transparaître une certaine lassitude. Erwan était lassé et en colère mais, étrangement, pas contre Toinou qui avait pourtant tout fait pour s’attirer ses foudres. « Ca fait six fois en trois mois, commença Erwan, que tu viens piller la cave du domaine et… »
Toinou n’avait jamais vraiment fait attention au jeune paysan devant lui. Il l’avait vu pour la première fois, il y a trois ans de cela, à la ferme de son père. Ils avaient alors tous les deux quinze ans. Toinou tenait déjà, ma foi, fort bien l’alcool et Erwan revenait de Paris, où il étudiait la rhétorique et les sciences. Il l’avait ensuite aperçu plusieurs fois mais jamais il n’avait eu le loisir de l’observer de près. Ni même d’entendre sa voix. Lorsqu’il parlait, les oiseaux cessaient leurs chants, et Toinou croyait entendre du sable chaud couler sur du cuivre : un son bas, clair et mélodieux, qui sonnait triste malgré sa beauté. La voix d’Erwan était belle et rêche. « Comme lui » pensa le bandit.
Les rares fois où Toinou l’avait vu dans la cour de son père, il avait le teint pâle et ses épaules frêles portaient des vêtements citadins. Le jeune homme qui lui parlait avait le teint hâlé et les épaules plus larges. La tenue paysanne mettait en valeur sa beauté brute.